mercredi 11 novembre 2009

Toujours dans l'optique de l'analyse de Périgueux, nous avons eu l'idée ambitieuse de relater de façon romancée une historiette. Plus personnel, et plus inventif, l'exercice a pour but de mettre en valeur dans l'espace étudié (ici la place de la Vertue) les cinq sens. Enfait notre société actuelle a tendance à négliger les sensations que produisent les éléments extérieurs sur notre personne. C'est ainsi que par ce petit récit, tenterons-nous de vous faire vivre de façon sensible l'espace.

Marie venait de s'asseoir sur l'un de ces petits bancs de pierre qu'elle apercevait chaque jour de la semaine. Elle avait l'habitude de passer sur cette place si jolie et si pittoresque à toute allure, rythmée par la cadence effrénée de ses escarpins qui claquaient sur les pavés.
Mais aujourd'hui c'était différent. On était mardi, le soleil petit à petit disparaissait derrière les façades des maisons. On le distinguait à peine, mais on devinait qu'il commençait à être tard. Le ciel sombre lui faisait penser à une mousse aux fruits, un fruit particulier qui aurait été de couleur grise ; S'il avait pu existé, elle l'aurait appelé « pouka » . Elle le voyait très bien: il ressemblait à un avocat, sa peau était duveteuse comme celle d'une pèche. On aurait découvert la graine de l'arbre à l'intérieur d'un iceberg géant. Et de brillants scientifiques ne sachant qu'en faire l'aurait par accident mis en terre.
Enfin! Elle sourit surprise de pouvoir imaginer de telles histoires!
Le temps devenait de plus en plus orageux, mais cela lui importait peu. Autour d'elle, elle voyait toutes ces petites personnes s'agitants, craignants une pluie glaciale, s'affairants de part et d'autre de cet espace à la fois immense pour elle et minuscule par rapport au monde. Elle, qui avait grandi dans ce petit univers, se voyait monter debout sur le muret qui délimitait le patio et cheminait en essayant de garder l'équilibre. Chaque fois qu'elle commençait à vaciller d'un côté ou de l'autre son cher père l'aidait par sa main protectrice.
Elle entendit la cloche de la cathédrale Saint Front sonner 8 heures. Et les yeux fermés, elle essaya en quelque sorte de sortir de son corps, d'être extérieure à elle-même, de ne plus être une personne mais seulement une sensation, un sentiment, une pensée ou peut-être même un secret.
Très vite elle ne ressentit plus son enveloppe charnelle. La seule chose qui lui restait c'était son âme. L'ambiance de la place de la vertue, si authentique et si pittoresque fut-elle la transportait. Elle avait l'impression de renaître et de vivre dans chaque recoin, dans chaque pierre, dans chaque poussière. Elle était à la fois le tout et le rien, faisant une seule unité avec la place. Elle se situait maintenant dans le décor, une partie de ce que les gens par habitude ne voit plus. Le vent la transperçait et l'emportait vers un ailleurs. Elle pouvait distinguer chaque bruit; le grondement de l'orage, un rire aigu émanant d'une fenêtre, le fracas incontrôlé des volets contre les parois des maisons bourgeoises, le froissement d'une feuille morte en passant par un bruit de vaisselle ou encore le léger frottement de ses vêtements contre sa peau glacée.
Le froid envahissait son corps mais elle ne tremblait pas. L'odeur d'une pluie fine se fit ressentir. Puis le bruit régulier d'une averse laissa place à une symphonie torrentielle. Elle trouva cela tellement beau et se dit que même Bach n'aurait pu égalé ce chef d'œuvre de la nature. Envahie par l'émotion, submergée par le plaisir d'être ici, une multitude de sensations lui venait à l'esprit. Sa bouche rosée et scintillante esquissa un léger sourire, son teint frais paraissait comme éclairé par la pureté. L'eau ruisselait dans ses cheveux avec grâce. Elle put sentir le goût de l'eau; elle était onctueuse et dégagée un parfum vanille/réglisse.
Elle imagina la place plusieurs siècles auparavant, la vie y était bien différente. Elle pu y voir les commerces d'épices rares, de fruits exotiques, de pâtisseries.
« _ Si je pouvais me transformer en dessert, j'aimerai être un fondant au chocolat sortant du four, tout chaud, tout moelleux et tout coulant à l'intérieur! Pensa-t-elle.
_ Et j'attendrai bien sagement mais pas trop longtemps tout de même qu'un petit garçon aux yeux pétillants arrive dans la boulangerie, posant ces mains sur la vitrine, regardant avec désir et passion tout ce qui est au chocolat. Il craquerait pour moi, moi pour lui et j'aurai fini ma petite aventure dans son estomac parmi tant d'autres aliments!
Oui! J'aimerais que la vie soit aussi simple et si plaisante. Oh! J'aurais pu être la reine des fondants au chocolat si en plus j'avais eu des éclats de noix et du sucre glace! »
Tout à coup elle ouvrit les yeux, perturbée par quelque chose qui venait de l'extérieur. Un homme vêtu d'un somptueux kaway rouge vif la secouait et le regardait. Il semblait crier, elle perçut ce qu'il disait:
« _ Vous allez bien? Vous allez attraper la mort si vous restez ici ! »
Il avait l'air paniqué, désorienté, apeuré... Sans doute était-ce lié à ce violent orage qui grondait.
Il continua de la secouer comme un prunier, attendant une réaction de sa part.
_ Mais que faites vous ??!
Elle cessa de regarder l'homme fixement et s'attacha à l'espace qui l'entourait. Une joie immense la traversa, consciente de tout ce qu'elle venait de vivre grâce à ce lieu magique. Elle se mit à rire aux éclats submergée par le bonheur et répondit:
_ Je vis. »

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